Aujourd’hui, je vous partage un témoignage

 

Très précieux pour moi.
Non, pas un témoignage sur ma pratique, mais un témoignage d’un autre temps.
Je l’ai reçu par courrier ; 3 pages recto-verso d’une écriture très familière. Celle d’une de mes tantes. Pourquoi aussi familière ?  Parce que toutes les femmes de ma famille maternelle ont  la même écriture : quand j’ai vu l’adresse sur l’enveloppe, j’ai cru que c’était ma mère qui m’avait écrit.

Et pourtant

 Cela ne venait pas d’elle, ni de ma tante d’ailleurs.

Ma tante m’a recopiée 3 pages, bien studieusement, témoignage d’une personne âgée, qui voulait laisser une trace de son histoire, et de l’histoire de toutes ces familles accrochées à des pentes arides, tentant de vivre.

 Je vous retransmets ce récit tel quel. Vous y trouverez la pudeur de la narratrice qui se cache derrière un “nous”.

La vie d’antan

 “Amis lecteurs de Montvalezan ou d’ailleurs, vous qui êtes fidèles à l’écho de nos joies et de nos peines.

Aujourd’hui étant arrivée au seuil du 3ème âge, le long ruban de la vie a laissé dans nos coeurs un trop-plein de souvenirs !

Notre intention n’est pas de nous mettre en valeur mais d’être comme le vent dans les feuilles mortes un murmure de ce passé que nos aïeux et nous avons vécu. Nous pensons que la génération qui monte comprendra que dans la vie un retour en arrière est parfois nécessaire.

Pour que nos petits-enfants sachent combien leurs vieux parents couronnées de cheveux blancs ont eu une vie dure, sans confort avec des moyens pécuniaires plus que réduits. Vivant pauvrement et arrachant à nos pentes abruptes le pain quotidien par le travail de la terre, l’exploitation du bois et des petits élevages de vaches moutons et chèvres.

A cinq ans nous commencions l’école, jusqu’à onze ans ou douze ans où nous passions le certificat d’études. A l’époque dans l’Hiver, on avait des maisons rudimentaires, deux ou trous par famille pour permettre de rentrer les récoltes, provenant de propriétés éloignées les unes des autres et très morcelées pour nourrir le bétail ; alors on changeait d’habitation plusieurs fois dans l’Hiver ; et nous les enfants il fallait changer d’école. C’était les Laix, le Crêt, le Châtelard ou le chef-lieu.

Par tous les temps nous partions dans les sentiers avec de la neige jusqu’au ventre, mal équipés, chaussés de galoches.

Il fallait travailler dur, car nous n’avions que cinq mois par an pour nous instruire, de Novembre à Mai. Après il fallait rentrer à la maison pour aider les parents à rentrer les bêtes au champ et  travailler avec eux le dur labeur de la terre.

Durant les mois d’école nous descendions trois fois par semaine au catéchisme à Montvalezan (chef-lieu), l’institutrice nous faisait partir à 11H30 par tous les temps. A midi il fallait être présent sinon gare aux punitions catéchisme à midi et demie ensuite remonter la pente. Venir déjeuner à la maison (Hauteville, la Combaz, le Châtelard ou ailleurs). Repartir à l’école à 13H30. Le jeudi  à la messe à l’église paroissiale ! Le dimanche communier à 8H30 sans déjeuner, ensuite un petit café au lait froid, et on attendait la messe de 10H. Les enfants pauvrement habillés, pas assez chaudement souvent tombaient en syncope pendant l’office qui durait 1H30 à l’époque.

Puis à l’âge adulte, fonder un foyer n’était pas une petite affaire, il ne fallait compter sur personne. Les parents n’avaient que le strict nécessaire pour vivre ne pouvaient pas nous aider. Il n’y avait pas de travail, pas d’emploi ; les hommes à la belle saison trouvaient quelques travaux du côté de Bourg-St-Maurice dans les alpages d’été. C’était des murs ou des toits à refaire. Ils partaient à pied des villages de la commune avec le pain noir et la tomme ou un  bout de lard, les outils de travail pour la semaine.

Ils marchaient 7 à 10H d’affilée, avec la polenta dure à midi et de l’eau. Ils couchaient dans des écuries par terre à même le sol. Le samedi c’était le retour à la maison tard dans la nuit, ils restaient parfois quinze jours loin de la maison. Les femmes et les enfants  durant ce temps-là s’occupaient de la terre, de sarcler le seigle, l’avoine et les pommes de terre, les jardins, faucher, rentrer le foin. Les bêtes dans les alpages avaient besoin que l’on s’occupe d’elles, un tour de garde pour les mener paître dans les communaux.

Alors les femmes partaient des villages et montaient à la Rosière, les Euchères et ailleurs, trainant leurs gosses, les petits juchés sur les épaules, le ravitaillement et tout le reste, mortes de fatigue, de privations. Elles s’écroulaient la journée finie, à 11H du soir. Souvent reprendre la journée à l’aube. Très tôt les mères étaient usées, handicapées par de gros travaux ; nos parents finissaient très malheureux. Jamais de docteur, il y en avait un ou deux à Bourg-St-Maurice, on ne pouvait pas les payer, alors on vivait et on pourrait sans eux.

Quel bonheur pour notre génération quand on a vu arriver un peu de confort, l’électricité en 1939, la route depuis le chef-lieu jusqu’au Souvereux c’était sommaire, elle a été enrobée plus tard.

Mais malheureusement il y a eu la guerre, l’exode, le pillage de nos maisons, le départ en 1940, le retour en Septembre. Le désarroi était complet, total, pas un sou vaillant, plus rien dans les maisons, beaucoup de bêtes perdues ou volées, et au milieu de cette hécatombe les récoltes avaient souffert et en partie abimées. Quand on est jeune, l’espoir vous fait vivre mais nos pauvres parents assis sur le pas de porte ne savaient plus si c’était chez eux ; et ils pleuraient. Ces souvenirs sont restés gravés dans la mémoire, et au fond de notre coeur.

Tous se sont remis petit à petit au travail, privations, économies, occupations italiennes et toutes les contraintes avec, y compris les cartes d’alimentation pendant six ans. 1944 est arrivé, les italiens ont repassé leur frontière, mais ce sont les allemands une deuxième fois, le pillage de nos maisons, des bêtes. On vivait dans la peur et dans l’angoisse au milieu de la mitraille. En 1945 l’armistice est enfin arrivé et alors encore une fois, nous avons eu le courage de repartir, luttes incessantes mais combien noble, à coeur vaillant rien d’impossible.

Pour les hommes, il y eu du travail car du fait de la guerre, il y avait beaucoup de désastre. Puis sont venus les barrages EDF, la Griotte, Tignes, Roseland. Alors petit à petit les gens ont repris courage, fait des réparations sommaires dans les maisons.

Puis notre Rosière, née depuis longtemps avec ses traditions, s’est vue transformée pour un nouveau destin. Elle a, par ses nouvelles fonctions, retenu les jeunes au pays ; nos villages s’épanouissent, revivent, ils retrouvent une âme.

 

Mais dans ce monde égoïste et plein d’embûches, nous souhaitons que nos enfants et petits-enfants n’oublient jamais que leurs aïeux au prix de tant de sacrifices et de larmes leur ont légué de la ténacité, de l’entraide et de la foi.”

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